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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

Qu’on juge de son effroi lorsque, au bout de sa course à travers les salons et les couloirs, d’où elle entendait la rumeur de la masse populaire qui débordait sur le Carrousel et escaladait déjà les grilles du château, elle se retourna et se vit seule avec quelques personnes de sa suite[1]. Ses joues si pâles pâlirent encore.

En ce moment le bruit du canon retentit dans la cour. La princesse crut qu’une lutte fatale s’engageait. Elle savait que la troupe n’était plus en état de résister. Elle pensa qu’elle allait être massacrée.

Alors, par un de ces beaux mouvements du cœur, fréquents dans l’histoire des femmes, elle saisit ses deux enfants par la main et se plaçant avec eux devant le portrait eu pied de leur père[2]. « Il ne me reste donc, s’écria-t-elle en implorant de ses yeux en larmes le secours d’en haut, qu’à mourir ici ! »

Au même instant, la porte s’ouvrit ; un éclair d’espérance brilla dans les yeux de la princesse, elle s’élança à la rencontre de la personne qui entrait. C’était M. Dupin, qui, suivi de M. de Grammont, cherchait la régente pour la conduire a la Chambre. « Monsieur Dupin, s’écria la duchesse, vous êtes le premier qui veniez à moi. Chose étrange ! en effet, la régente, en ce moment suprême, était complètement oubliée des hommes politiques. Presque aussitôt on vint lui dire que M. le duc de Nemours l’engageait à quitter les Tuileries. Elle prit le bras de M. Dupin et, suivie d’un petit groupe de personnes de sa maison, elle traversa le jardin et passa devant des troupes de ligne qui, n’ayant reçu aucun ordre, ne lui rendirent même pas les honneurs militaires.

  1. M. Régnier, précepteur du comte de Paris, M. de Boismilon, secrétaire des commandements, M. Asseline, M. de Chabot-Latour, le général Gourgaud, M. de Villaumez, M. de Graves, le duc d’Elchingen ; M. de Montguyon, MM. Thiers, Duvergier de Hauranne, de Rémusat, Baroche, jugeant la partie perdue, quittèrent les Tuileries aussitôt après le départ du roi, sans savoir ce que la princesse était devenue.
  2. Ce magnifique portrait, digne d’une telle illustration, est dû au pinceau de M. Ingres.