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Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 1.djvu/264

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HISTOIRE

La duchesse tenait par la main le comte de Paris ; le petit duc de Chartres, malade depuis quelques jours et grelottant de fièvre, était porté par son médecin, M. Blache. En arrivant au pont Tournant, M. Dupin, s’avançant vers la foule, proclama, à haute voix le comte de Paris roi des Français, et madame la duchesse d’Orléans régente. Puis on se dirigea vers la Chambre[1]. La princesse était émue, mais sa volonté restait ferme ; elle allait, non pas comme on l’a dit, assouvir enfin une ambition longtemps contenue, mais tout simplement accomplir un devoir de mère.

Si la duchesse d’Orléans avait eu, en effet, ces ambitions impatientes que les soupçons de la famille royale lui prêtaient, elle aurait réussi peut-être dans sa tentative[2].

Mais, malgré l’opinion accréditée au Château, elle n’était pas du tempérament qui fait les fortes ambitions et les grands desseins. Intelligente, réservée, délicate d’esprit et de corps, digne de soutenir avec honneur un rang élevé, elle n’avait rien de cette énergie audacieuse qui s’empare du commandement. Habituellement souffrante et résignée, elle nourrissait de vagues espérances ; mais la flamme in-

  1. Pendant que la duchesse d’Orléans se dirigeait vers la Chambre, un lieutenant de la 5e légion, le citoyen Aubert-Roche, redoutant des scènes effroyables si le combat venait à s’engager entre les insurgés et la troupe qui gardait encore les Tuileries, se présenta au guichet de l’Échelle et demanda à parler au commandant du château. Il lui peignit avec la plus grande vivacité le péril croissant, et l’engagea à livrer immédiatement les Tuileries à la garde nationale, qui pourrait, du moins, les préserver du pillage. Le commandant, ne pouvant prendre sur lui de donner l’ordre d’évacuer, conduisit M. Aubert-Roche au duc de Nemours. Celui-ci écouta en silence et fit ce qu’on lui demandait. Aussitôt, l’artillerie, après avoir tiré trois coups de canon chargés à blanc, signal convenu pour avertir de l’arrivée du peuple, commença son mouvement de retraite par la grille du Pont-Royal. Les dragons mirent pied à terre pour faire descendre leurs chevaux par l’escalier du milieu. La retraite se fit avec si peu d’ordre qu’on oublia de relever les postes intérieurs.
  2. Sur le pont de la Concorde, le comte de Paris trébucha et tomba. Il ne se fit aucun mal ; mais cette chute fut un triste présage pour le cœur troublé de sa mère.