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HISTOIRE

sous le commandement du chef de bataillon Ramond de la Croisette, n’essaye aucune résistance.

En vain, M. Emmanuel Arago, qui retourne au bureau du National[1] pour y rendre compte de sa mission, essaye de calmer l’ardeur des insurgés ; en vain, M. Marie, averti de l’invasion, vient à leur rencontre et veut les arrêter sur le seuil ; ils n’écoutent pas ; repoussant, culbutant les huissiers de service, ils se pressent dans les couloirs, enfoncent la porte, escaladent les bancs. Le capitaine Dunoyer s’élance à la tribune ; il appuie fortement sur le marbre la hampe de son drapeau, et, brandissant son sabre au-dessus de sa tête, il s’écrie d’une voix tonnante, qui domine un moment le tumulte : « Il n’y a plus ici d’autre autorité que celle de la garde nationale, représentée par moi, et celle du peuple, représentée par 40,000 hommes armés qui cernent cette enceinte. »

À ce spectacle, à ce langage inouï, les députés épouvantés refluent confusément vers les gradins supérieurs. Le président, pâle et défait, agite sa sonnette d’une main tremblante. Au pied de la tribune, immobile, les bras croisés sur sa poitrine, le visage calme, les yeux levés vers le ciel comme un martyr, M. Odilon Barrot semble attendre que le délire de cette multitude se dissipe de lui-même. M. Ledru-Rollin est à la droite du capitaine Dunoyer ; son regard interroge la foule. Il épie l’instant où il deviendra possible de la dominer du geste et de la voix. M. de Lamartine, debout sur les marches de l’escalier, promène sur l’assemblée un œil scrutateur.

« Monsieur le président, couvrez-vous ! c’est affreux ! c’est infâme ! s’écrie M. de Mornay ; il n’y a plus de liberté, nous

  1. En traversant la place de la Concorde, M. Arago, fidèle à sa promesse, alla informer le général Bedeau de ce qui venait de se passer à la Chambre. « Le peuple ne veut plus ni royauté, ni régence, lui dit-il ; on va proclamer un gouvernement provisoire. Ce gouvernement aura besoin de l’armée pour maintenir l’ordre dans Paris, peut-on compter sur vous ? — J’appartiens à mon pays, répondit le général. On peut compter sur mon dévoueent à la France. »