Après avoir longtemps flotté à la merci de tous ces courants, tantôt poussés l’un vers l’autre, tantôt séparés par la vague populaire, MM. de Lamartine et Dupont (de l’Eure) parvinrent au premier étage. MM. Ledru-Rollin, Crémieux, Marie, y arrivaient aussi peu après et de la même façon ; mais, poussés, portés, jetés dans un labyrinthe de salles, de galeries, de vestibules, d’escaliers, de couloirs inconnus où s’engouffrait une multitude fiévreuse, inquiète, qui ne voulait rien entendre, ils errent pendant plus d’une heure, livrés isolément à leurs inspirations, haranguant sans s’être concertés, et parlant, un peu au hasard, de calme, de concorde, de dévouement au peuple, de gouvernement national. Chacun d’eux trouvait sur son chemin quelque orateur populaire qui, le pistolet au côté ou le sabre au poing, debout sur un banc, sur une table, sur une console, proclamait, selon son bon plaisir, un gouvernement quelconque. Il y eut bien certainement plus de cinquante noms acclamés à la fois, pendant ces premières heures, dans les différentes parties de l’Hôtel de Ville. Les hommes les plus étrangers, les plus antipathiques les uns aux autres, se voyaient rapprochés par la passion révolutionnaire ou par les calculs de la politique.
Ici, c’étaient les chefs des sociétés secrètes, les anciens détenus, les conspirateurs, les combattants des barricades, auxquels on décernait la dictature. Là, quelques émissaires du parti bonapartiste prononçaient le nom du prince Louis ; plus loin, on nommait M. de Lamennais[1]. Ailleurs, M. de la
- ↑ Le nom de M. de Lamennais avait déjà été prononcé à la Chambre ; mais, comme depuis plusieurs années il était resté à l’écart, étranger aux luttes du journalisme, son nom ne trouva que peu d’écho.
lieu pendant cette longue invasion populaire dans les salles de l’Hôtel de Ville. Pas un objet de valeur ne disparut. Un buste colossal de Louis-Philippe fut seul en butte à de mauvais traitements. Au moment même ou la première colonne d’insurgés parut sur la place de Grève, M. Flottard, secrétaire de la municipalité, craignant que l’ivresse ne portât ces hommes déjà si exaltés à de fâcheux excès, eut l’heureuse idée de faire défoncer les tonneaux qui remplissaient les caves de l’Hôtel de Ville.