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INTRODUCTION.

discussion libre, voilà ce qui rend raison des anomalies d’une politique, qu’il a définie lui-même avec un accent de réprobation inimitable, en l’attribuant, il est vrai, au cabinet de M. Molé en 1838 : « Politique sans principe et sans drapeau, toute d’expédients et d’apparence, qui exploite, fomente, aggrave cette mollesse des cœurs, ce défaut de foi, de consistance, de persévérance et d’énergie, qui fait le malaise du pays et la faiblesse du pouvoir. » Ses adversaires, en 1847, ne s’exprimaient pas différemment.

Les travaux historiques et littéraires de M. Guizot sont nombreux et estimables, mais ils s’effacent devant sa gloire d’orateur. À la tribune, M. Guizot ne fut point surpassé. La sobre et lumineuse ampleur de ses improvisations philosophiques, l’art si rare de composer par masses, de généraliser les idées et de trouver la beauté dans l’abstraction sans le secours de l’image, un calme dédain d’accent, une puissance concentrée de geste et de regard qui dominait les plus violents tumultes, le rendaient à peu près invincible dans les luttes parlementaires. Cependant, chose bizarre, cet homme, si longtemps maintenu au pouvoir par la volonté du roi et l’appui du pays légal, était antipathique à tous les deux. Louis-Philippe était trop bourbon, sous son écorce bourgeoise, pour ne pas goûter singulièrement les allures de gentilhomme ; et jamais M. Guizot ne réussit à dépouiller le professeur, le genevois, le calviniste. Son port, sa démarche, son sourire même, et jusqu’à ses complaisances retinrent toujours une sorte de hauteur apprise, une morgue de lettré souverainement répulsive au prince qui se ser-