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HISTOIRE

sans s’arrêter l’œuvre de la transformation sociale. Mais un zèle funeste ramène le roi captif. L’Assemblée s’émeut ; le sens politique l’abandonne. Elle s’engage avec le roi contre le peuple, avec le passé contre l’avenir, avec la monarchie contre la république. La bourgeoisie, à son exemple, hésite ; une scission fatale s’opère au Champ de Mars. Le sang coule… Dès lors, la libre et régulière métamorphose des institutions devient impossible. L’obstacle qui se dresse de toute sa hauteur défie le génie du siècle et provoque un effort désespéré. Cet effort exalte les têtes. Les idées sont entraînées par les passions ; les passions, à leur tour, éveillent les instincts ; les instincts s’arment d’une logique implacable. Ce qu’il y a de brutal dans les instincts et d’absolu dans la logique ne veut plus compter ni avec le temps ni avec les hommes. L’instinct de l’aristocratie en détresse pousse un cri vers l’étranger. L’instinct de l’égalité démocratique tue le roi de l’aristocratie. La République française est fondée, mais par violence et dans le sang français. Dès ses premiers pas, elle est jetée hors de ses voies. Fille de l’Évangile et de la philosophie, c’est sa grandeur, et ce sera sa perte d’être incompatible avec la tyrannie des instincts. Elle ne saurait régner par la terreur. Il ne lui sied pas, comme à ces empereurs romains, de placer sur sa poitrine la tête de Méduse. L’esprit même de son institution, qui exalte la dignité de la personne humaine et rend la vie de l’homme plus sacrée pour l’homme, la condamne à périr. En abattant des têtes, elle paraît plus criminelle que les monarchies, par cela seul qu’elle agit contrairement à son principe. Pendant trois ans elle a beau accomplir des prodiges et tenter avec une audace inouïe de fixer dans les lois les plus sublimes aspirations de l’âme humaine, rien ne peut la soustraire à la fatalité de son origine. Tout ce qu’elle déploie de génie et d’héroïsme reste vain. Il faut qu’elle meure, parce qu’elle a forfait à sa nature, et que l’impassible nature des choses l’emporte toujours, à la longue, sur la passion humaine. De convulsion en convul-