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HISTOIRE

dents d’armes bien éprouvées, tenaient un conseil tumultueux dans une salle à peine éclairée et dont l’aspect était lugubre. À travers une atmosphère épaisse et fumeuse, à la lumière rougeâtre des quinquets, on voyait s’agiter un assemblage fantastique de figures sinistres. C’étaient des hommes hardis, sans scrupules, rompus à tout. Le plus grand nombre avaient, pendant les dix premières années du règne de Louis-Philippe, trempé dans les complots, préparé les embûches, fabriqué les machines meurtrières, conspiré les attentats qui portèrent à la cause républicaine une si grave atteinte morale. À voir ces rudes physionomies, ces fronts fuyants, ces regards secs, les gestes crispés de ces bras musculeux, à entendre les éclats brisés et stridents de ces voix sans timbre, on comprenait que c’étaient là des hommes chez qui la pensée troublée et le cœur endurci laissaient tout empire aux instincts[1].

Les motions les plus extravagantes se succédaient sans interruption, au bruit des crosses de fusils frappant les dalles, entrecoupées de rires et de bravos convulsifs. Expulser sur l’heure le gouvernement provisoire, punir de mort la trahison de Lamartine, châtier et terrifier la bourgeoisie par des exemples fameux, désorganiser par deux ou trois décrets l’armée, la magistrature, tous les corps constitués, mettre hors la loi les hommes suspects, confisquer les biens. des riches, fonder sous un niveau de fer l’égalité absolue, gouverner par un comité de salut public et selon les traditions de la Commune de Paris en 93, telles étaient les idées fixes des communistes-matérialistes ; mais, ni le président ni aucun des plus violents sectionnaires n’osaient presser la conclusion. Les yeux sans cesse tournés vers la porte d’entrée, ils épiaient avec impatience l’arrivée de

  1. En racontant la conspiration du 12 mai, M. Louis Blanc caractérise ces natures de conspirateurs « qui, dit-il, ayant plus de foi aux victoires de la force qu’aux pacifiques et inévitables conquêtes de l’intelligence, font du progrès de l’humanité une affaire de coup de main, une aventure. » (Histoire de dix ans, t. V, chap. xiii.)