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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

Blanqui. Le grand conspirateur parut enfin. Avec une lenteur calculée, l’œil impassible, le visage compose et impénétrable, il traversa l’assemblée et prit place au bureau. La proclamation insurrectionnelle qu’il avait dictée était collée à la muraille il y jeta un regard sombre et se tut longtemps.

« Citoyens, dit-il enfin, la république est en ce moment menacée de dangers immenses. Les royalistes épient nos dissensions pour renverser le gouvernement provisoire et rappeler la régente. L’heure n’est pas venue d’en appeler au peuple des décrets du gouvernement. En présence de difficultés sans nombre, ce gouvernement a marché lentement jusqu’ici dans les voies révolutionnaires, mais enfin il y a marché. Si l’on compte dans son sein trop d’hommes tièdes ou timides, il s’en trouve aussi qui méritent la confiance du peuple. Sachons attendre qu’ils puissent agir. » Puis, déroulant avec un flegme étudié devant son auditoire tout haletant, mais qu’il refroidissait peu à peu, les difficultés de la situation, montrant en pilote consommé, à ces forbans politiques, les écueils, les récifs de ces mers inconnues, il conclut en déclarant qu’il fallait veiller sur la République et remettre toute action au jour où le péril extérieur serait conjuré.

Les conspirateurs, accoutumés à l’obéissance passive, se turent. Le président annonça que la séance était close et fixa l’heure du rendez-vous pour le lendemain. La proclamation fut enlevée du mur et déchirée en mille morceaux. Chacun s’éloigna. Blanqui rentra chez lui en compagnie de deux amis fidèles. En route, il s’arrêta devant la boutique d’un boulanger pour acheter un pain ; il venait de s’apercevoir qu’il n’avait rien mangé de la journée.

Ainsi s’évanouit, à sa première heure, la tempête artificielle dont le gouvernement provisoire conçut tant d’épouvante ainsi un juste sentiment de son isolement au sein d’un peuple ennemi de toute violence, et l’intelligence parfaite de son impuissance à faire revivre dans les masses