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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

avait quelque chose de solennel. Enfin le prolétaire rompit le silence. D’une voix ferme, avec l’accent du commandement, il déclara qu’il venait, au nom du peuple, sommer le gouvernement de reconnaître et de proclamer sur l’heure le droit au travail.

« Citoyens, continua-t-il, depuis vingt-quatre heures la révolution est faite, le peuple attend encore les résultats. Il m’envoie vous dire qu’il ne souffrira plus de délais. Il veut le droit au travail ; le droit au travail tout de suite. »

En parlant de la sorte, Marche, c’était le nom de l’orateur populaire, fixait sur M. de Lamartine ses grands yeux brillants d’audace, pour lui faire entendre, sans doute, qu’il le soupçonnait plus encore que les autres de trahir la cause du peuple.

M. de Lamartine le devina. S’avançant vers l’ouvrier, il voulut essayer de le captiver par des caresses oratoires ; mais, à peine commençait-il sa harangue, que Marche l’interrompit  : « Assez de phrases comme cela, s’écria-t-il ironiquement, assez de poésie ! Le peuple n’en veut plus. Il est le maître, et vous ordonne de décréter sans plus de retard le droit au travail. »

Alors, M. de Lamartine, irrité à son tour et provoqué par une sommation si impérieuse, reprit, d’un ton altier : « Que mes collègues fassent sur ce point ce qu’ils jugeront utile ; quant à moi, je le déclare, fussé-je menacé de mille morts, fusse-je conduit par vous en face de ces canons chargés à mitraille qui sont là sous nos fenêtres, jamais je ne signerai un décret que je ne saurais comprendre. » Puis, baissant un peu le ton et radoucissant les inflexions de sa voix, il mit la main sur le bras de l’ouvrier, pour mieux s’emparer de son attention, et, tout en lui accordant que le vœu du peuple était légitime et méritait d’être pris en considération, il tenta de nouveau de le persuader. Il lui peignit, en traits éloquents, la situation critique du gouvernement en proie à mille soucis, obligé de pourvoir à la fois à tous les besoins ; il lui montra la République en danger, ses enne-