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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

propagande sourde ou incendiaire chez ses voisins. Elle sait qu’il n’y a de libertés durables que celles qui naissent d’elles-mêmes sur leur propre sol. Mais elle exercera, par la lueur de ses idées, par le spectacle d’ordre et de paix qu’elle espère donner au monde, le seul et honnête prosélytisme, le prosélytisme de l’estime et de la sympathie. Ce n’est point là la guerre, c’est la nature. Ce n’est point là l’agitation de l’Europe, c’est la vie. Ce n’est point là incendier le monde, c’est briller de sa place sur l’horizon des peuples pour les devancer et les guider à la fois. »

Le 6 mars, M. de Lamartine soumit son manifeste à la délibération du conseil. L’approbation qu’il reçut, quant au fond, fut unanime. Seulement, M. Louis Blanc, tout en applaudissant à la pensée de fraternité entre les peuples qui donnait à ce manifeste un caractère nouveau et de tous points conforme aux idées socialistes, insista pour que l’on déclarât formellement les traités de Vienne rompus. M. de Lamartine céda en partie et l’on fit par transaction la phrase équivoque sur le droit et le fait que je viens de rapporter.

L’équivoque était, malheureusement, moins encore dans le langage du manifeste que dans la situation du gouvernement, car, s’il était parfaitement en droit de déclarer les traités de Vienne rompus, en rappelant l’occupation de Cracovie ; il n’était pas en mesure de donner suite à cette déclaration. Le jour où il se trouva prêt, où l’occasion s’offrit de prendre l’offensive, M. de Lamartine, qui n’eût pas hésité à se prononcer pour l’intervention en Italie, n’était plus ministre. Ses successeurs traduisirent à leur gré, selon leurs vues personnelles, le sens de son manifeste. On le rendit plus tard injustement responsable de fautes et de crimes politiques qu’il n’eût jamais commis, qu’il n’était pas en son pouvoir d’empêcher, contre lesquels il protesta à la face de l’Europe[1].

  1. Voir, au Moniteur, le discours de M. de Lamartine à l’Assemblée nationale, séance du 23 mai 1848.