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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

l’emprunt de 150 millions qu’il fit bientôt à la Banque de France.

L’emprunt national, ouvert par décret du 9 mars sur une inscription de rentes 5 pour 100 au pair, n’avait produit au bout d’un mois que la misérable somme de 400 000 francs. L’idée d’un sacrifice volontaire n’approchait point des classes où cet emprunt aurait pu être réalisé. « Il serait bien temps, quand on y serait contraint, de donner son argent à l’État ; » ainsi raisonnaient les riches. Et les bourses se resserraient, et chacun diminuait ostensiblement sa dépense, prenant tous les dehors de la ruine. Les uns réformaient brusquement la moitié de leurs domestiques, d’autres vendaient à vil prix leurs chevaux ou faisaient fondre leur argenterie ; les femmes de l’aristocratie sortaient vêtues comme de petites bourgeoises et affectaient de monter dans les voitures publiques. Il était entendu qu’on ne payait plus aucun fournisseur. Les confiscations et les assignats de 93 paraissaient à beaucoup de gens des motifs suffisants pour se dire ruinés en 1848.

À la vérité, ces basses et égoïstes pensées n’étaient pas générales. Dans les mansardes, dans les ateliers, partout où régnait l’esprit républicain, le patriotisme relevait les courages. L’obole du pauvre ne se cachait pas et la famille de l’artisan ne tenait pas conseil pour savoir s’il serait prudent de la mettre en réserve. Tous, émus de la détresse publique, auraient eu honte de parler de leur propre misère c’était partout une rivalité, une folie de sacrifice : celui-ci donnait en un jour l’épargne de dix années ; tel autre, qui n’avait point d’argent, offrait une montre, une chaîne d’or. Les femmes apportaient leur présent de noce. Les offrandes furent si nombreuses que le gouvernement se vit obligé de nommer pour les recevoir une Commission des dons patriotiques qui siégea au palais de l’Élysée sous la présidence de deux vieillards illustres, MM. Béranger et de Lamennais[1].

  1. Voir aux Documents historiques, à la fin du volume, n°14.