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HISTOIRE

envoyait, par M. Bethmont, l’ordre de faire enlever les barricades qui gênaient l’arrivée des subsistances. Celui-ci reçut à la préfecture de police un accueil qui lui fit comprendre à quels esprits insubordonnés le gouvernement allait avoir affaire, et combien il serait malaisé de les plier à une autorité quelconque. Entouré déjà d’un bataillon intrépide d’hommes rassemblés au hasard par un instinct commun d’aventures, M. Marc Caussidière jouait avec un sérieux imperturbable un personnage à demi bouffon, à demi tragique. Tout était évidemment calculé à la préfecture de police pour grandir son importance. Frapper l’imagination des bourgeois par un contraste fortement tranché entre un appareil toujours menaçant pour les classes riches et des actes de protection individuelle, entre des discours insensés et une administration prudente, c’était là le but de M. Caussidière, ou plutôt c’était le moyen par lequel il espérait se rendre indispensable, prolonger indéfiniment son autorité et la soustraire au contrôle du gouvernement provisoire. Comme il était favorisé dans ses desseins par la perturbation des esprits et par les cabales des partis rivaux, Caussidière réussit, pendant la crise révolutionnaire, à se maintenir en équilibre en s’appuyant, non sans habileté, tout à la fois sur les bas-fonds du prolétariat, dont il savait flatter les instincts, et sur la bourgeoisie qui se divertit bientôt de sa verve excentrique et lui sut un gré infini de l’ordre si vite rétabli dans la ville. À une première insinuation de M. Garnier-Pagès pour lui faire accepter le commandement du château de Compiègne, M. Caussidière avait répondu en homme résolu à ne pas se laisser éconduire. Quand M. Bethmont s’aventura, le lendemain, à la préfecture de police, elle était déjà occupée militairement ; il n’y avait plus moyen de songer en expulser personne. À travers les fumées de la poudre, du tabac et du vin qui faisaient des salons récemment quittés par madame Delessert une tabagie armée, M. Bethmont, apostrophé, injurié, traité de monarchiste et de traître à la République, parvint à grand’peine