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INTRODUCTION.

des pratiques d’un sensualisme mystique qui épouvantèrent les moins timorés. Un grand déchirement se fit entre des hommes jusque-là tendrement unis. Il se passa entre eux des scènes inouïes, renouvelées des anabaptistes : des extases, des délires, des transports, qui inquiétèrent la morale publique vaguement informée. Poursuivie par la police et les tribunaux, huée par la foule, la famille[1] se dispersa ; l’apostolat fut frappé d’interdit ; la religion saint-simonienne s’évanouit avant même d’avoir existé. Mais les idées critiques de l’école restèrent acquises à la raison commune ; chacun fit son profit de ses travaux multiples ; les mots saint-simoniens de réhabilitation, d’émancipation, d’organisation scientifique et industrielle, de solidarité, etc., passèrent dans le langage de la presse quotidienne, influençant à leur insu ceux-là mêmes qui se disaient et se croyaient adversaires de la doctrine[2].

Même fortune, à peu près, échut au fouriérisme. Le bon sens français rejeta les extravagances de la cosmogonie de Fourier ; il se divertit aux dépens du phalanstère et de l’état harmonien ; mais il retint du système des vues très-justes et très-pratiques sur l’association, sur l’exploitation agricole, sur l’éducation ;

  1. C’était le nom qu’avait pris le groupe peu nombreux, mais fervent, réuni autour du Père Enfantin, à Ménilmontant.
  2. Parmi les disciples de Saint-Simon devenus indépendants, il convient de citer au premier rang M. Auguste Comte, qui, dans son cours de Philosophie positive, a exposé une nouvelle méthode de classification des sciences et une théorie des développements historiques de l’humanité, sur laquelle il s’efforce de constituer la science sociale ou sociologie.