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HISTOIRE

l’assistance publique. Tels sont les principes qu’il puise dans le spiritualisme religieux qui fait le fond de sa nature et subsiste invariablement, malgré les inconséquences fréquentes auxquelles il s’est vu entraîné, comme tous les hommes d’imagination quand ils ne donnent point pour lest à leurs opinions spontanées la science réfléchie.

La première marque de sympathie politique fut donnée à M. de Lamartine deux ans après la publication de sa brochure par les électeurs de Berghes (Nord), qui le nommèrent député en 1833. Il reçut cette nouvelle à Jérusalem. Elle abrégea un voyage en Orient entrepris avec sa femme et sa fille unique ; qu’il perdit à Beyrouth. M. de Lamartine avait voulu voir dans la vivante réalité cette nature grandiose qu’une bible imagée, donnée par sa mère, avait rendue familière à son enfance. Au sommet du Liban, dans l’enceinte crénelée d’un ancien couvent de Druses, sous des berceaux d’orangers, de figuiers, de citronniers, la voix d’une moderne sibylle lui avait annoncé de hautes destinées. « Vous êtes l’un de ces hommes de désir et de bonne volonté dont Dieu a besoin comme d’instruments pour les œuvres merveilleuses qu’il va bientôt accomplir parmi les hommes, » lui avait dit lady Stanhope[1]. Étrange et poétique rencontre qui, on peut le croire, ne contribua pas faiblement à exalter les ambitions d’un homme si accessible aux séductions de la poésie.

En arrivant à la Chambre, M. de Lamartine s’assit aux

  1. On sait que lady Esther Stanhope était la nièce de M. Pitt. Longtemps initiée aux secrets de sa politique, elle n’avait pu supporter, après sa mort, l’ennui d’une existence devenue trop inoccupée pour son imagination ardente, et elle était venue demander à l’Orient d’autres émotions, d’autres grandeurs. La rare perspicacité de son esprit, surexcitée par la solitude, lui faisait voir les choses à venir avec une lucidité qui semblait un don prophétique. « L’aristocratie, bientôt effacée du monde, disait-elle un jour à un voyageur français, M. de Marcellus, qui ne partageait point cette opinion, y donne sa place à une bourgeoisie mesquine et éphémère, sans germe ni vigueur. Le peuple seul, mais le peuple qui laboure, garde encore un caractère et quelque vertu. Tremblez ! s’il connaît jamais sa force. »