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HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

pour apercevoir ce but et pour s’en rapprocher, il fallait tout à la fois une vue philosophique très-étendue et une action politique très-mesurée. Si la philosophie compte par siècles, la politique compte par jours. Ce que l’une prévoit, l’autre le prépare. S’il avait eu cette conscience des nécessités du présent et des besoins de l’avenir qui fait le jugement des hommes d’État, le gouvernement de la République aurait pu ébaucher le plan et commencer peut-être la réalisation d’une œuvre d’unité européenne, analogue à l’œuvre d’unité nationale accomplie par la monarchie sur le sol divisé des Gaules. Mais la révolution de 1848 ne devait porter au pouvoir ni ses philosophes ni ses politiques. L’esprit de parti s’empara d’elle et voulut la conduire. Or, l’esprit de parti, qui ne prévoit ni ne prépare rien, est ce qu’il y a dans le monde de plus opposé à la philosophie aussi bien qu’à la politique.

On l’a déjà vu dans ce qui précède, on le verra mieux encore dans les événements qui vont suivre, l’esprit de parti, en se jetant tête baissée dans des voies sans issues, brouilla tout, compromit tout ; il rendit pour longtemps irréconciliables les hommes de spéculation et les hommes de pratique, dont l’action commune pouvait seule amener, dans l’État français et dans l’État européen, un progrès naturel et durable.