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HISTOIRE

prudent d’en fournir même le prétexte. Le ministre de l’intérieur et le ministre de l’instruction publique n’y songèrent pas assez ; ils confondirent ce qui, dans un gouvernement, peut être l’objet d’instructions confidentielles données avec choix à un petit nombre d’hommes capables de discernement, et ce qui peut se dire dans des actes officiels lus par des adversaires, commentés par l’esprit de parti, mal interprétés par l’ignorance ou le mauvais vouloir. La pratique des affaires leur manquait à tous deux et, par là, la mesure dans le langage et le sentiment de l’opportunité, qui fait le fonds de la politique.

Cependant, malgré ces erreurs, ces tiraillements du pouvoir, malgré les agitations journalières des clubs, la grande épreuve du suffrage universel fut soutenue avec honneur par le pays. À très-peu d’exceptions près, les opérations du scrutin se firent avec une régularité parfaite.

On se rappelle que le 23 avril était le jour de Pâques. Quelques scrupules s’étaient élevés dans le conseil. On craignait de blesser le clergé et les populations religieuses, en assignant à l’accomplissement d’un acte politique le jour consacré à la plus grande des solennités du culte. M. de Lamartine combattit cette pensée timorée. Il voyait, au contraire, dans cette coïncidence un heureux augure et pour la religion et pour la République. Le clergé le comprit ainsi. Bien loin de murmurer, il se prêta avec empressement aux changements d’heures nécessités par cette décision. Partout, dans les campagnes, on célébra la messe de la résurrection à l’aube du jour ; à l’issue de l’office, le curé se joignant au maire, au juge de paix, au commandant de la garde nationale et à l’instituteur, ils rassemblèrent les électeurs, les formèrent en colonne et les conduisirent processionnellement, bannière déployée et musique

    parfaitement légitimes, nécessaires à la dignité et à la liberté du citoyen. (Voir au Manuel, le ch. ii : De la sûreté et de la propriété.)