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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

nommer des paysans, et de ne pas se laisser éblouir par le prestige de l’opulence et des manières du grand monde. « Le danger que les amis sincères de la République peuvent redouter, disait encore M. Carnot, ce n’est pas qu’il y ait à l’Assemblée trop peu de lettrés, c’est plutôt qu’il y ait trop peu de gens de pratique, honnêtement et profondément dévoués aux intérêts de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. » Et il recommandait de nouveau les hommes capables,

qui, pour n’avoir pas dépassé le niveau de l’instruction primaire, n’en étaient pas moins dignes, malgré le défaut de ce que l’on nomme éducation et fortune, de figurer parmi les éléments précieux de l’Assemblée.

Les manuels des droits et devoirs du citoyen, ou catéchismes politiques, publiés à la demande du ministre par les recteurs d’académie, commentaient et développaient pour la plupart cette pensée[1]. À Paris, M. Henri Martin, M. Ducoux et M. Renouvier entreprirent cette tâche. Le manuel de M. Renouvier fut l’objet d’attaques très-vives, que l’on résuma, afin de mieux frapper les imaginations, dans le mot de communisme. On alla répétant partout que le ministre et ses subordonnés prêchaient l’égalité dans l’ignorance, et cette communauté dans l’indigence des biens intellectuels que M. Ledru-Rollin voulait établir dans l’indigence des biens matériels.

Ces accusations étaient injustes[2] ; mais il était bien im-

  1. Cette pensée n’avait rien d’erroné, ni même de nouveau. Bien avant M. Carnot, Xénophon avait dit dans sa République d’Athènes (ch. i) : « Rien cependant de plus sage que de permettre, même au dernier plébéien, de parler en public. Le dernier artisan, étant maître de se lever et de haranguer l’assemblée, y donnera des conseils utiles à lui et à ses pareils. Dans l’opinion publique, cet homme, tel qu’il est, avec son ignorance, ses vues basses, mais son zèle pour la démocratie, vaut mieux qu’un citoyen distingué avec des vues nobles, de la pénétration, mais qui a des intentions perfides. »
  2. « La révolution qui a emporté les rois, les pairs et les députés, respecte la famille, le mariage, les testaments et les tribunaux, » dit le Manuel de M. Renouvier ; partout il développe cette pensée, que le capital et l’intérêt du capital, la donation et l’héritage sont choses