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HISTOIRE

le peuple afin de prévenir, s’il se peut, une invasion nouvelle. M. Buchez, sans l’y autoriser, comme président, l’y engage comme citoyen[1]. M. Louis Blanc sort et va rejoindre M. Albert et M. Barbès qui, debout sur l’entablement d’une fenêtre, reçoivent une espèce d’ovation populaire. On remet à M. Louis Blanc un drapeau polonais ; il se place entre ses deux amis, commence un discours, où, pour apaiser l’effervescence, il parle longuement de la souveraineté populaire, de la nécessité d’assurer en ce jour le triomphe de la cause du peuple ; mais en même temps il insiste pour qu’on laisse à l’Assemblée le loisir de délibérer et pour qu’on attende avec calme le résultat de ses délibérations[2]. Les cris de : Vive Louis Blanc ! Vive la République démocratique et sociale ! lui répondent.

Un groupe qui s’est formé derrière lui, le saisit, l’enlève malgré sa résistance et le ramène dans l’enceinte de l’Assemblée, dont on lui fait faire le tour, porté en triomphe. Mais quel triomphe, hélas ! et combien celui qui en est l’objet paraît le subir avec confusion ! Le visage de M. Louis Blanc est d’une pâleur livide ; de grosses gouttes de sueur coulent le long de ses joues ; ses lèvres remuent comme pour parler, mais sa voix éteinte n’articule aucun son ; il fait un geste pour indiquer qu’il voudrait écrire et va tomber enfin, brisé d’émotion, sur un banc où il demeure durant quelques minutes privé de connaissance.

Pendant cette ovation si pénible, des scènes inouïes se passaient au bureau. Immédiatement après le discours de Blanqui, M. Ledru-Rollin avait proposé que l’Assemblée se déclarât en permanence, et que le peuple se retirât sous le

  1. Voir au Procès de Bourges.
  2. La conduite des représentants de la Montagne fut en cette circonstance assez semblable à celle des Montagnards, à la journée de prairial, qui « sans provoquer la crise, dit Levasseur, la désiraient et se promettaient d’en profiter ; » et qui, selon M. Thiers, « ne prirent la parole que pour empêcher de plus grands malheurs et pour, hâter l’accomplissement de quelques vœux qu’ils partageaient. »