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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

réunissent et décident de faire une protestation en masse. On se donne rendez-vous sur la place du Panthéon pour neuf heures du matin.

Le 22, à neuf heures, douze à quinze cents ouvriers des ateliers nationaux et des corporations, portant leurs bannières, se dirigeaient vers le Panthéon. Sur la route, ils rencontrent un de leurs lieutenants, nommé Pujol ; celui-ci les arrête ; il leur dit qu’ils se trompent, que ce n’est pas au Panthéon qu’il faut aller, mais au siége même du gouvernement, au Luxembourg. À cette proposition, on bat des mains ; Pujol se place à la tête de la colonne ; on se remet en marche. Depuis un certain temps, cet homme exerce sur les ouvriers un ascendant extraordinaire. Il est doué d’une sorte d’éloquence naturelle, à laquelle il sait donner un tour mystique, qui répond à la disposition générale des esprits, accoutumés dans les clubs et dans les banquets à entendre les orateurs socialistes emprunter leurs textes et leurs métaphores aux Écritures. Généralement le peuple était comparé, dans ces harangues, au Christ flagellé, outragé, crucifié par les grands de la terre ; et jamais cette image, quoique incessamment répétée, ne manquait de produire un grand effet. À la réouverture du club de Blanqui, le 15 juin, on applaudissait avec frénésie le président Esquiros, qui représentait l’Assemblée nationale et la commission exécutive souffletant tour à tour le peuple couronné d’épines, en lui criant : « Devine qui t’a frappé ? »

Pujol était l’auteur d’un pastiche des Paroles d’un croyant, intitulé la Prophétie des jours sanglants, où il mêlait le plus bizarrement du monde, le vent de la colère de Dieu avec la griffe de Tarquin ; le sang d’Abel et le baiser de Judas avec les mousquets, les baïonnettes et les cavernes mystérieuses de la royauté.

La dernière strophe de ce dithyrambe politique faisait un appel direct aux ressentiments qui couvaient dans le cœur du peuple.

« Ils espèrent réserver les jours d’agonie pour le peuple,