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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

chaque décharge, les rangs de la garde républicaine s’éclaircissent visiblement. Un moment, les insurgés ayant repris la première barricade, les soldats se trouvent entre deux feux. Pendant dix minutes le sang coule à flots. Cependant, soldats et officiers restent impassibles ; mais de part et d’autre, on essuie de telles pertes, on est si las de tuer qu’il se fait tacitement une espèce de trêve. Elle est de peu de durée. Le combat recommence avec plus de fureur. On fait pointer le canon sur la première barricade[1]. Après une lutte de deux heures, elle est enfin ébranlée. La garde mobile s’élance, la baïonnette en avant, les insurgés fuient et cherchent un abri dans les maisons.

Les principaux combattants de la barricade se réfugient dans un magasin de nouveautés, à l’enseigne des Deux-Pierrots. Le commandant de la barricade, l’intrépide Belval, propose de s’y défendre jusqu’à la dernière extrémité, en se barricadant d’étage en étage ; mais on n’a plus de munitions, et, d’ailleurs, ses hommes sont frappés d’épouvante. Ces cruels enfants des faubourgs leur inspirent une terreur inouïe. Ils fuient de tous côtés, se dérobent, se cachent sous les comptoirs, se blottissent derrière les ballots de marchandises, dans les angles les plus obscurs des combles et des caves. Rien ne les protège contre la mort ; la baïonnette fouille partout. Ceux qui tentent d’échapper par les toits sont ajustés par les gardes mobiles restés sur la place, qui rient à voir rouler, tomber et se fracasser sur le pavé ces figures humaines. De tous les combattants réfugiés là, un seul échappe miraculeusement. On emporte des charretées de cadavres[2].

Cependant, le général Bedeau, qui a dégagé le pont Saint-

  1. Cette barricade était défendue par des officiers de la 12e légion, anciens républicains, qui avaient été les compagnons de captivité de M. Guinard.
  2. En face de la rue des Mathurins, les gardes mobiles, ayant formé avec des tréteaux une espèce de tribunal, simulèrent un conseil de guerre et rendirent des sentences de mort, qui furent exécutées sur l’heure.