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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

parée de son esprit, il ne veut plus rien ménager, ni les hommes, ni les propriétés, ni surtout lui-même.

L’œil en feu, la chevelure au vent, la voix presque éteinte, tant il a prodigué les ordres, les exhortations, les reproches à ses soldats qu’il trouve indécis : « Je me ferai tuer, mais je ne céderai pas ! » répond-il aux personnes qui l’engagent à ne pas s’opiniâtrer, comme il le fait, sur des points qui paraissent imprenables. C’est à grand’peine qu’il revient sur l’ordre de fusiller deux brigadiers des ateliers nationaux sur lesquels on a trouvé la somme de quatre-vingts francs et un laissez-passer signé Lalanne. Il répète tout haut que l’administration des ateliers trahit. Il veut qu’on lui amène le directeur pour le faire passer par les armes[1] ; il fait arrêter le commandant Watrin, de la 6e légion, parce que celui-ci, ignorant l’ordre qu’il vient de donner de jeter des bombes dans une maison de la rue du Faubourg-du-Temple, d’où l’on veut déloger les insurgés, est accouru pour éteindre l’incendie ; il menace les soldats, il n’épargne pas les officiers ; il se répand en injures contre la garde nationale[2].

Tandis que, par son ordre, le canon tonne incessamment contre les barricades, la sape et la mine ouvrent, dans l’intérieur des maisons, un chemin aux soldats qui vont de la sorte prendre l’ennemi à revers. Les bombes et les obus

  1. Le général Lamoricière se refusait à croire que M. Lalanne agît d’après les ordres du général Cavaignac et de M. Senard. On espérait, en continuant la paye des ateliers nationaux, retenir un grand nombre d’ouvriers et les empêcher de se battre.
  2. Quelquefois aussi il plaisante : « En voilà de la fraternité ! » s’écrie-t-il, en voyant tomber à droite et à gauche une pluie de balles. S’apercevant que les soldats hésitent à attaquer une barricade, il met son cheval au pas au milieu de la chaussée, s’avance tout seul sous le feu des insurgés, revient aussi lentement qu’il est allé : « Vous voyez bien que ce n’est pas difficile, » dit-il aux soldats. Une autre fois encore, voyant qu’un officier pâlit en s’apprêtant à passer devant une brèche d’où part une fusillade continue, il le prend par le bras, tout en causant, le couvre de son corps, passe lentement avec lui sous la brèche et ne le quitte que lorsqu’il n’y a plus de danger.