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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

ses desseins personnels. Mais il ambitionnait d’être reconnu par tous comme l’organe éloquent des vertus et des douleurs sans voix de la masse populaire ; il voulait donner à cette masse incohérente la conscience de sa force ; il espérait opérer dans l’esprit de la bourgeoisie, par le déploiement de cette force calme, mais inébranlable du prolétariat, une conversion qui rendrait toute violence inutile.

Le caractère de M. Louis Blanc et le rôle qu’il a joué pendant les premiers mois de la révolution méritent une attention sérieuse ; non pas qu’à son nom doive rester attaché le souvenir de quelqu’une de ces grandes réformes, gloire des hommes d’État venus à l’heure favorable ; non pas même qu’il ait su embrasser en philosophe l’ensemble d’un nouvel ordre social, mais parce qu’il a, l’un des premiers, révélé à la société des classes moyennes la lutte sourde élevée dans son sein sans qu’elle eût encore osé se l’avouer à elle-même ; parce qu’il a découvert, d’une main hardie, le mal qu’il fallait qu’elle sondât, dont il fallait qu’elle fût épouvantée pour chercher à le guérir ; parce qu’enfin, s’il n’a pas donné à la masse du prolétariat l’organisation promise, il a du moins fortement suscité en elle une tendance organisatrice qui pourra s’égarer longtemps encore, mais dont le résultat définitif ne saurait plus être mis en doute.

Par une anomalie assez fréquente dans l’histoire des hommes célèbres, le caractère et les instincts naturels de M. Louis Blanc étaient en opposition manifeste avec les idées qu’il s’était faites. Jamais le sentiment de la personnalité ne fut enraciné aussi profondément que chez cet adversaire opiniâtre de l’individualisme ; les théories communistes n’eurent jamais pour champion un esprit moins propre à s’absorber dans la communauté, une nature qui répugnât davantage à l’assimilation, à l’abnégation du moi sous le niveau égalitaire. Sa vie tout entière est le combat de ce moi indestructible contre le sort et contre les hommes.