on comptait quelques femmes, et qui marchaient en rang, dix par dix, précédés de leurs drapeaux. Après eux venait la longue procession des corporations ouvrières. Séparées l’une de l’autre par des intervalles égaux, chacune de ces corporations suivait sa bannière flottante et, s’avançant lentement, d’un pas mesuré, elle se rangeait sous les fenêtres de l’Hôtel de Ville dans un ordre parfait. On n’entendait dans cette masse compacte d’hommes, de femmes, de vieillards, d’enfants, aucune rumeur. Le commandement s’y faisait sans bruit, et la plus stricte discipline maintenait dans les rangs de cette armée en blouse une régularité que les plus belles troupes du monde eussent applaudie. Les physionomies mêmes, toutes recueillies et graves, exprimaient la pensée du devoir accompli qui animait et contenait cette multitude.
Quand la place fut entièrement remplie, le mouvement du cortége s’arrêta : les chefs des clubs et les délégués des corporations, s’approchant de la grille, demandèrent à être introduits auprès du gouvernement provisoire. M. de Lamartine, qui venait de recevoir de M. Cabet l’assurance que les clubs n’avaient aucune intention hostile, fit ouvrir les grilles à une cinquantaine de délégués, et le conseil tout entier se transporta dans une des salles les plus spacieuses de l’Hôtel de Ville, afin de les recevoir solennellement. Pendant ce temps, le peuple, resté sur la place, entonnait d’une voix mâle, et sans rompre ses rangs, la Marseillaise.
« Citoyens ! que demandez-vous ? » dit, en s’adressant à la députation des clubs, le vieux défenseur des libertés constitutionnelles, Dupont (de l’Eure). Il y avait dans l’accent avec lequel il posa cette interrogation une certaine fierté qui contrastait avec l’affaissement de son corps et la tristesse résignée de son visage. Un moment de silence suivit ces paroles. De part et d’autre on s’observait, on cherchait à surprendre sur les physionomies le secret de chacun, à deviner le concert ou l’isolement des volontés,