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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

On le voit partout sur les points menacés. Tantôt il franchit, sur le pavé glissant où son cheval tient à peine, toute la longueur d’une rue ; tantôt, au contraire, il ralentit le pas et s’avance nonchalamment, son cigare à la bouche, sous le feu croisé des balles, vers la barricade où tous les fusils l’ajustent, en gourmandant gaiement ses soldats, comme il le pourrait faire en un jour de parade. Et cette valeur brillante, cette intrépidité de tous les instants, qui étonne les plus intrépides, elle est d’autant plus admirable que Lamoricière, qui ranime et relève autour de lui tous les courages, loin de s’abuser sur les chances d’une lutte trop inégale, s’en exagère encore le péril. Il laisse échapper une exclamation de surprise en apprenant avec quelle bravoure la garde nationale a enlevé, sans le secours de la troupe, les premières barricades. Il la considérait à peu près comme nulle, dans son plan d’opérations, ou plutôt il craignait qu’elle ne se jetât, comme au 24 février, entre le peuple et l’armée. Plus que personne, il se défiait de la garde mobile ; il soupçonnait partout la trahison ; il appréhendait à toute minute de voir la démoralisation gagner les soldats. Enfin, il jugeait sa position tellement difficile, qu’il envoyait dire au général Cavaignac, que, à moins de prompts renforts, il ne répondait pas de tenir jusqu’au soir contre une insurrection dont la confiance semblait croître de minute en minute, et décelait à coup sûr des ressources cachées.

Sur la place Lafayette, et dans les rues voisines, un combat acharné durait depuis plusieurs heures. Les insurgés y ont construit, avec des tonneaux d’arrosage, des planches et des pavés, une barricade très-haute, que défendent les ouvriers mécaniciens de la Chapelle-Saint-Denis, commandés par le capitaine de la garde nationale Legénissel, dont la compagnie tout entière a passé à l’insurrection.

Les insurgés occupent aussi les maisons qui forment l’angle de la place et des rues Lafayette et d’Abbeville. En peu plus bas, deux autres barricades, également fortes,