Page:Agoult - Lettres républicaines.djvu/11

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sein de ce conseil suprême auquel le pays a remis le soin de ses destinées. Entrons ensemble, s’il vous plaît, à l’Assemblée nationale.

Notre premier mouvement sera la surprise. Des crânes dégarnis, des chevelures grisonnantes, des dos voûtés, des pas alourdis, des voix cassées, voilà ce que l’on voit et ce que l’on entend quand on plonge, du haut d’une tribune, sur la réunion des premiers élus de la France révolutionnaire. Disons-le poliment, l’Assemblée nationale est d’un certain âge. Il sera bien à elle, et puissions-nous avoir à l’en féliciter de donner un éclatant démenti à la sagesse évangélique, en nous prouvant par ses œuvres qu’il est bon de verser le vin nouveau dans de vieilles outres. Pour ma part, bien que j’aie plus de foi dans l’inspiration de la jeunesse que dans le calcul des années tardives, je vois un avantage à ce résultat inattendu du suffrage universel. Vous aurez la mesure des appréhensions générales, en vous rappelant avec quelle timidité l’opposition demanda pendant dix-sept ans des modifications insignifiantes au cens électoral, avec quel imperturbable aplomb le pouvoir rejetait, comme dangereux et de nature à bouleverser la société, les plus minimes changemens à la loi existante. Beaucoup d’esprits judicieux demeuraient dans le doute à cet égard et croyaient l’application du suffrage universel hérissé de difficultés. La violence et l’anarchie leur paraissaient le résultat, sinon inévitable, du moins fort à craindre, d’un tel concours, ou plutôt d’un tel conflit de passions et d’inexpériences.

Quelle réponse le pays vient de faire à ces défiances injurieuses ! Tout le monde en convient aujourd’hui, si l’Assemblée nationale a un défaut, ce n’est assurément pas l’excès d’ardeur révolutionnaire ; ce n’est pas l’exaltation des idées, moins encore l’entraînement des passions. Désormais, quoi qu’il arrive, il est une vérité acquise à la conscience publique, c’est que l’instinct populaire de nos jours est d’accord avec la politique des intelligences élevées, et que, loin de jeter la perturbation dans le gouvernement des affaires, il apporte à la raison d’État une force nouvelle et régulatrice.

La modération excessive, si l’on peut ainsi parler, qui a dicté les choix du pays peut donc être considérée, dans ce