Page:Agoult - Lettres républicaines.djvu/56

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Doué d’une clairvoyance de cœur qui tient de l’intuition plus que de l’observation ou du jugement, tous les mots qui, depuis plusieurs années, ont caractérisé la situation du pays et prophétisé l’avenir, c’est Lamartine qui les a prononcés. La France s’ennuie, disait-il en 1839 ; dans votre système, il n’est besoin d’un homme d’Etat, il suffirait d’une borne, s’écriait-il en 1842 ; en 1847 il annonçait la révolution du mépris. C’est là surtout ce qui fait sa puissance ; c’est ce beau don d’un génie sybillin qui supplée chez lui à l’ordre rigoureux, à l’enchaînement précis, à la stricte logique dont quelquefois il s’écarte, emporté par le lyrisme d’une imagination enthousiaste.

Comme historien et comme politique, M. de Lamartine est accusé d’inconséquences et de contradictions qui, chez M. Thiers n’ont point été aussi sévèrement relevées. Il ne me paraît qu’à cet égard on ait fait preuve d’une parfaite justesse d’appréciation. S’il y a dans la pensée politique de Lamartine des variations que j’appellerai de surface, nous y trouverons du moins le caractère invariable du spiritualisme religieux, l’unité d’une aspiration puissante vers la liberté, d’un profond amour pour le peuple, d’une intelligence chaque jour plus lucide des destinées de la démocratie. Fils d’un siècle de doute, de lutte entre les sentimens et les idées, né dans les rangs de la noblesse, élevé dans la tradition catholique, Lamartine, comme Châteaubriand, comme Lamennais, comme tant d’autres moins illustres, a ressenti la secousse interne de ce tremblement d’âme qui semble l’épreuve du génie au dix-neuvième siècle. Cependant, moins lié au passé que Châteaubriand, moins fougueusement emporté vers l’avenir que Lamennais, il a suivi d’un pas plus tranquille le rayon voilé d’abord, mais de plus en plus éclairci, de sa mystérieuse étoile. « Vous êtes l’un de ces êtres de désir et de bonne volonté dont Dieu a besoin comme d’instrument pour les œuvres merveilleuses qu’il va bientôt accomplir dans le monde. » lui dit un jour une femme qui avait connu les secrets politiques du plus grand homme d’Etat de l’Occident et qui leur avait préféré les secrets divins de la nature orientale. Cette parole de lady Stanhope demeure comme un sceau apposé à la