Page:Agoult - Lettres républicaines.djvu/55

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comme il le fait. Point de déclamation, point de rhétorique. Nul travail, nul artifice, je dirais presque nul soin, n’apparaissent dans ces longs discours où tout est enchaîné, combiné, avec une habileté prodigieuse. Nulle image brillante ne vous éblouit, aucune parole pathétique ne vous émeut, aucune saillie ne vous frappe ; et pourtant, vous demeurez atteint, votre conviction chancelle sous l’effort inaperçu d’une argumentation pressante. Votre cœur et votre raison protestent peut être, mais votre langue s’embarrasse ; vous désespérez d’atteindre à la souplesse, à la clarté, à la persuasion de cet esprit infatigable ; il vous semble tout à la fois facile de le prendre en défaut, impossible de le réfuter ; vous vous taisez, son opinion prévaut ; il emporte le vote.

Lamartine n’a jamais, que je sache, emporté le vote d’une assemblée mais il a dominé, il a charmé, et je donne à ce mot son sens le plus étendu, pendant des journées entières, des multitudes enivrées du combat. Au lendemain d’une révolution qui remuait les profondeurs de la société, il a désarmé les colères victorieuses du peuple. En un jour unique dans les annales du monde, il a conquis, à la plus difficile, la plus glorieuse épreuve du suffrage universel, quinze cent mille voix qui jamais, il n’est pas téméraire de le prédire, ne se rencontreront plus dans une même pensée. L’éloquence de Lamartine est surtout magnétique ; elle s’adresse à l’âme, elle l’enveloppe, pour ainsi parler, de chaleur et de lumière. Son improvisation riche et colorée, la mélopée sonore de sa diction qu’accompagnent un geste et un air de tête pleins de noblesse, l’enroulement solennel de ses périodes qui retentissent, dans leur majestueuse monotonie, comme les vagues sur la falaise, font de lui un orateur aux proportions grandioses.

Rarement il se passionne, jamais il ne descend au ton familier. Jamais, ni la vivacité, ni l’imprévu de la discussion, ni le droit de représailles, ne lui ont arraché une personnalité. une parole amère ou seulement incisive. Sa pensée habite les régions sereines ; la nature de son esprit est étrangère à l’ironie ; on pourrait même croire que le sens critique lui manque, tant il se voile chez lui sous des formes généreuses.