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Page:Agoult - Lettres républicaines.djvu/64

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rivage, cherchant le même port. Les prétendans se résignent à reconnaître, par le silence du moins, la République victorieuse.

Cette République s’inspirera-t-elle de l’esprit démocratique ou de l’esprit monarchique ? C’est aujourd’hui la seule question sérieusement posée entre les deux opinions dominantes dans le pays. Voyons quelles sont, au sein de l’Assemblée, les forces respectives de ces opinions.

En première ligne, aux postes avancés de l’opinion démocratique, nous rencontrons un groupe de quarante personnes environ, qui forme ce que le langage plagiaire du jour appelle la Montagne. Ce groupe, qui tient séance en dehors de l’Assemblée, dans un cercle de la rue Castiglione, et qui vient de se laisser dénombrer sur la candidature de M. Bac à la présidence, nourrissait, au début de la session, des espérances illimitées. M. Louis Blanc croyait alors de très bonne foi posséder, avec la confiance et l’amour des classes ouvrières, un moyen assuré d’organiser le travail et de substituer, en un clin-d’œil, la fraternité à l’individualisme. M. Pierre Leroux sentait distinctement en lui le Dieu régénérateur du monde. Plusieurs, qu’il est superflu de nommer, habitués à diriger les sociétés secrètes, pensaient qu’il ne devait pas être plus malaisé de gouverner la France. Le parti, en général, ne voyait point à la chose de difficultés sérieuses. Tout lui semblait très facile, très simple, plus que simple, élémentaire. Ces illusions n’ont duré qu’un printemps. L’invasion du 15 mai, les barricades de juin ont prouvé à MM. Louis Blanc et Pierre Leroux qu’ils n’étaient point de complexion révolutionnaire. D’autres, mieux aguerris au combat, en voyant une si épouvantable mêlée, en assistant, sans le pouvoir arrêter, à ce débordement d’une énergie inconnue, ont détourné la tête. Ils se sont demandé si les félicités qu’ils avaient promises au Peuple étaient assez certaines, seraient assez complètes, pour qu’on les dût ainsi baptiser dans le sang humain. Les larmes d’une amère désolation ont coulé sur leur visage ; l’orgueil de leur âme consternée s’est amolli ; il n’est plus impossible aujourd’hui à un homme de cœur, tel que le général Cavaignac, de gagner à la cause d’une République sage et conciliatrice des hommes de cœur