Page:Agoult - Lettres républicaines.djvu/87

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toutes ses vanités ; c’était sa puissance bien établie entre la noblesse qui n’existait plus et le peuple qui n’existait pas encore, tandis que le droit, elle en avait comme un pressentiment confus, c’était désormais l’extension à son détriment du principe de l’égalité par l’admission de tous aux bienfaits de l’éducation et à la dignité de la vie politique. Il aurait donc fallu, pour que ce droit passionnât la bourgeoisie, que l’intérêt public prévalût dans son esprit sur son intérêt propre. Or, ses mœurs amollies rendaient incapable d’un patriotisme aussi dévoué. Elle préféra fermer les yeux à une vérité qui l’aurait troublée dans la jouissance de ses honneurs et de ses plaisirs.

Pendant qu’elle s’aveuglait volontairement, l’intelligence des classes laborieuses s’éclairait, non pas d’une manière égale, salutaire, ordonnée, comme il serait arrivé par un système d’instruction publique organisé sur une vaste échelle, mais confusément, partiellement, sans méthode ni discipline, par les voix tumultueuses de la presse. Des sectes, des écoles, des livres, des journaux imbus d’un esprit violent de réaction contre l’égoïsme des classes supérieures, prêchaient au peuple la révolte. Par un très étrange abus de mots, qui peint mieux que toute chose l’état anormal d’une civilisation en lutte avec elle-même, on enseigna, au nom du Christ et de l’Évangile, on érigea en doctrine le mépris des vertus sur lesquelles repose le christianisme. La résignation à la douleur et le renoncement aux biens terrestres furent représentés comme des faiblesses incompatibles avec la dignité humaine. On exalta les classes qui ne possédaient rien par le même moyen qu’avait employé Louis-Philippe pour abattre les passions de celles qui possédaient tout, en leur inculquant l’estime immodérée des biens matériels. Les convoitises affamées furent excitées contre les convoitises repues. Tous les germes d’une guerre sociale étaient depuis longtemps semés et fermentaient dans les profondeurs, lorsque des causes purement politiques en apparence firent éclater la révolution de Février.

Dans cette étrange mêlée où les principes combattaient sans se nommer comme les dieux de l’Olympe dans la guerre troïenne, le peuple demeura vainqueur parce que le droit était de son côté et que, en dépit des faux apôtres et des faux