Page:Agoult - Lettres républicaines.djvu/97

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comme « contenant une doctrine abominable propre à renverser la loi naturelle et à détruire les fondemens de la religion chrétienne. »

Eh bien, mon ami, c’est précisément ce livre funeste, pernicieux et abominable, anathématisé par l’Église catholique et l’Église protestante, réprouvé en 1762 au nom de la loi divine et de la loi humaine, dont M. Cousin extrait en 1848 les pages les plus incriminées, la Profession de foi du Vicaire savoyard, pour les placer en tête d’un cours de philosophie populaire. Il ne trouve rien de mieux, pour raffermir sur ses bases la société ébranlée, que cet ouvrage décrété, il y a un siècle à peine, d’impiété et d’athéisme. Qu’en dites-vous ? N’est-ce point là une leçon plus saisissante que l’enseignement du vicaire savoyard loi-même, y compris la préface de M. Cousin ? Ce simple rapprochement de date et de jugemens ne nous fait-il pas toucher du doigt l’incohérence et la contradiction des principes qui, depuis un siècle, prétendent gouverner la société officielle ? Ne projete-t-il pas une lueur effrayante sur l’anarchie au sein de laquelle cette société, livrée à tous vents de doctrine, s’agite et s’abîme chaque jour davantage ? Que peut-elle attendre de l’avenir, cette société aveugle, quand les hommes qu’elle investit du soin de la conduire rallument et prennent pour fanal la torche incendiaire qu’en un temps si récent on éteignait du pied, de peur qu’elle n’embrasât le monde ?

Que va dire le clergé de France d’une telle insulte, d’un mépris si ouvertement affiché de ses décisions ? Peut-il ne pas protester, ne pas fulminer de nouveaux anathèmes contre le philosophe déiste et le philosophe éclectique ? Peut-il demeurer indifférent au danger que vont courir les populations confiées à sa garde, quand une propagande officielle s’établit pour répandre des doctrines qu’il juge impies, athées, abominables ?

Comment, lorsque le chef de l’Etat fait appel à toutes les forces conservatrices de la société, prend-on si peu de souci du sacerdoce, c’est à dire de la plus solide, de la seule véritablement constituée des institutions sociales ? Serait-ce oubli de la part de l’Académie des Sciences morales et politiques ? Ne faut-il pas plutôt, dans ce procédé offensant pour l’Église, reconnaître une vieille rancune universitaire ?