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Page:Agoult - Lettres républicaines.djvu/98

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Quoi qu’il en soit, le fait en lui-même ne perd rien de sa gravité. C’est un signe éclatant, irréfragable, de l’impossibilité d’un accord sérieux entre les hommes de l’ordre ancien, quelle que soit l’épouvante qui les pousse en certaines circonstances les uns vers les autres. En vain des évêques catholiques et des pasteurs protestans tendraient-ils aujourd’hui la main à des philosophes, à des hommes d’Etat éclectiques ou sceptiques ; en vain voudraient-ils se rallier sous une commune bannière et se croiser contre le génie de l’avenir ; ces alliances pusillanimes ou hypocrites n’auront pas un jour de durée. Le vent de la dispersion soufflera sur leur bannière faite de mille pièces, et jonchera le sol de ses lambeaux.

Je n’ai pas besoin de vous dire que je ne prétends point ici juger ni condamner M. Cousin. En ce qui touche Jean-Jacques, je ne me range à l’opinion ni du Parlement de Paris, ni du grand conseil de Genève, ni même de Mgr de Beaumont. Je pense avec l’Académie qu’un chef-d’œuvre tel que la profession de foi du Vicaire savoyard doit être mis entre les mains du peuple, et que les âmes simples y trouveront le plus noble et le plus excellent sujet de méditation, en même temps qu’un de ces parfaits modèles du grand style par qui s’épure le goût et s’élève l’intelligence.

Mais je demeure frappé, et j’y insiste à dessein, de cette mystérieuse conduite des choses qui fait converger aujourd’hui toutes les pensées vers le peuple. Je vois avec une joie indicible toutes nos sagesses chancelantes, déconcertées, rendre un involontaire hommage au génie populaire, et les plus grands esprits attirés, absorbés dans ce courant immense, dont nul n’a sondé encore la profondeur ni ne soupçonne la force irrésistible.

Ceux qui croient, de nos jours, élever le peuple sont à leur insu et dans le sens le plus étendu du mot, élevés par lui à des idées, à des sentimens supérieurs à ceux qu’ils avaient conçus dans leur sphère isolée.

Oui, mon ami, chaque jour me pénètre davantage de cette conviction, c’est au sein du peuple que couve le feu sacré des vérités qui éclaireront l’avenir. C’est dans la simplicité du bon sens populaire, et non dans les systèmes que l’on