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Se dépouillant de soy est au ciel preparee.
L’amour brusle aisement & aisement possede
Celle qui a le sang & le naturel chaud,
Pour ce qu’elle est de feu & que le feu d’en hault
Cherche tousjours le cors où la chaleur excede ;
Mais le froid naturel est mal propre à aimer :
S’il ayme, cest amour est artificielle,
Car il fault corriger la glace naturelle
Et l’effet naturel est plus à estimer :
L’unde n’est pas si tost par la flamme alumee
Comme la flamme vive est par l’eau consommee.
Les vigoureux espritz en fumelles aymees
Et de pareil humeur monstrent bien leurs vigeurs.
Quand la couple impareille aporte des langeurs.
Leur vie est lors stupide en prison enfermee ;
Comme un feu au bois vert, pourtant né pour brusler,
Quant le millieu s’embrase & l’escorse s’alume,
L’umidité s’en fuit par les boutz en escume,
Renvoiant l’eau en l’eau & poussant l’air en l’air :
Il faut ainsi souvent que l’esprit du feu face
Avant bien posseder son cors sortir la glace.
Ainsi l’homme amoureux, vrai esprit de la femme,
Use souvent son temps sur l’espoir, & ses jours
A corriger son cors premier que les amours
Aient changé l’humeur & la fumee en flamme.
Il semble l’intellect qui vif & viollant
Habite un cors sans feu ; l’esprit brusle de rage
Et use pour brusler son ardeur & son age,
Se consomme en dressant son organe trop grand,
Miserables amours qui par l’antipatye
Premier que vivre bien ont consommé leur vie.
J’esgalle ainsi l’amour & celeste & terrestre
Que le cors sans esprit, la dame sans amy
N’ont ne plaisir ne vie ou vivent à demy.