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Pas un d’eux separé n’a ne forme, ne estre.
Comme souvent les cors mesprisent les espritz,
Les hommes sont ainsi reffusés par les dames :
L’amour plus necessaire aux cors qu’il n’est aux ames
Les doit faire plus doux & les avoir apris
Que l’ame vit encor quant le cors s’en delogne,
Et que le cors n’est rien sans ame que charogne.
Sans la conjonction leur amour est donc vaine,
Leurs effects separés sont songes impuissans,
Mais eux unis, de l’un & l’autre joissans,
Font germer en s’aymant leur amour & leur peine.
Separez moy le chaud d’avecq’ l’humidité,
A une autre liaison autre amour naturelle ;
Le chaut sterille en soy, l’humide est toute telle,
Et d’eux unis se fait toute nativité ;
Celluy doncq’ qui desjoint les moitiez de nature
Sacrilege la tuë & lui fait une injure.
Si nos esprits qui ont prins au Ciel leur naissance
Sont rien sans leur moitié, faitz mortz & impuissans,
Que sera il des cors mortelz & perissans
Sans amour, qui ont prins de l’autre amour substance,
Et quel est cest amour qui en l’affection
Naist & s’evanouist, se loge & s’imagine,
Si suivant son autheur, comme l’amour divine,
Il fleurist sans le fruit de la conjonction ?
C’est l’avorton liant la mort avecq’ la vie,
D’un parricide cors la vipere ravie.
Belle à qui j’ay sacré & mes vers & ma peine,
Voy’ comme en apaisant ta curiosité,
L’inutille regard d’une vaine beauté
N’est qu’une pure mort, sans unir l’androgeine.
Imitons les secrets de Nature & ses loix,
Fuions l’ingratitude & l’ame degenere,
Tout asseurez commant d’une si sainte mere