Page:Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874.pdf/44

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L.

Quand du sort inhumain les tenailles flambantes
Du milieu de mon corps tirent cruellement
Mon cœur qui bat encor & pousse obstinement,
Abandonnant le corps, ses pleintes impuissantes,

Que je sen’ de douleurs, de peines violentes !
Mon corps demeure sec, abbatu de torment
Et le cœur qu’on m’arrache est de mon sentiment.
Ces partz meurent en moy, l’une de l’autre absentes,

Tous mes sens esperduz souffrent de ses rigueurs,
Et tous esgalement portent de ses malheurs
L’infiny qu’on ne peut pour departir esteindre,

Car l’amour est un feu & le feu divisé
En mille & mille corps ne peut estre espuisé,
Et pour estre party, chasque part n’en esft moindre.


LI.

Pourquoy, si vous vouliez à jamais me chasser
Du soleil de ma vie & hors de vostre grace,
N’avez-vous fait mon cœur changer aussi de place,
Puis quand il vous eust pleu fuir & desplacer,

Au moins avecq’ l’espoir vous devier effacer
Le souvenir de vous : si je perdoy la trace
De mes regretz trenchantz, comme de vostre face,
Je feroy par un mal un autre mal cesser.

Vous n’estes pitoyable & avez peur de l’estre,
Vous fuyez ma raison de peur de la cognoistre.
Le juge est impiteux qui bien loin de sa veuë

Fait mourir le captif, pour n’en avoir pitié,
Et la playe que m’a faicte vostre amitié
Est plus forte que l’œil de celle qui me tuë.