Page:Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874.pdf/75

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S’il pleut, qu’avec la pluie il creve de tempeste,
Avare du beau temps & jaloux du soleil.
Mon estre soit hyver & les saisons troublées,
De mes afflictions se sente l’univers,
Et l’oubly oste encor à mes pennes doublees
L'usage de mon lict & celuy de mes vers.
Ainsi comme le temps frissonnera sans cesse
Un printemps de glaçons & tout l'an orageux,
Ainsi hors de saison une froide vieillesse
Dés l'esté de mes ans neige fur mes cheveux.
Si quelque fois poussé d’une ame impatiente
Je vais precipitant mes fureurs dans les bois,
M’eschauffant sur la mort d’une beste inocente,
Ou effraiant les eaux & les montz de ma voix,
Milles oiseaux de nuit, mille chansons mortelles
M’environnent, vollans par ordre sur mon front :
Que l'’air en contrepoix fasché de mes querelles
Soit noircy de hiboux & de corbeaux en ront.
Les herbes sécheront soubz mes pas, à la veuë
Des misérables yeux dont les tristes regars
Feront tomber les fleurs & cacher dans la nuë
La lune & le soleil & les astres espars.
Ma présence fera desecher les fontaines
Et les oiseaux passans tomber mortz à mes pieds,
Estouffez de l'odeur & du vent de mes peines :
Ma peine estouffe moy, comme ilz sont estouffez !
Quant vaincu de travail je finiray par crainte,
Au repos estendu au pied des arbres verts,
La terre autour de moy crevera de sang teinte,
Et les arbres feuilluz seront tost descouvertz.
Desjà mon col lassé de suporter ma teste
Se rend soubz un tel faix & soubz tant de malheurs,
Chaque membre de moy se deseche & s’apreste
De chasser mon esprits hoste de mes douleurs.