Page:Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874.pdf/76

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Je chancelle incertain & mon ame inhumaine
Pour ne vouloir faillir trompe mes voluntez :
Ainsi que vous voiez en la forest un chesne
Estant demy couppé branller des deux costez.
Il reste qu’un demon congnoissant ma misere
Me vienne un jour trouver aux plus sombres forestz,
M’essayant, me tantant pour que je desespere,
Que je suive ses ars, que je l'adore aprés :
Moy, je resiteray, fuiant la solitude
Et des bois & des rochs, mais le cruel suivant
Mes pas assiegera mon lit & mon estude,
Comme un air, comme un feu, & leger comme un vent.
Il m’offrira de l’or, je n’ayme la richesse,
Des estatz, des faveurs, je mesprife les courz,
Puis me prometera le cors de ma maitresse :
À ce point Dieu viendra soudain à mon secours.
Le menteur empruntant la mesme face belle,
L’ydee de mon ame & de mon doux tourment,
Viendra entre mes bras aporter ma cruelle,
Mais je n’embrasseray pour elle que du vent.
Tantost une fumee espaíse, noire ou bleuë
Passant devant mes yeux me fera tressaillir ;
En bouc & en barbet, en facynant ma veuë,
Au lit de mon repos il viendra m’assaillir.
Neuf goutes de pur sang naistront sur ma serviette,
Ma coupe brisera sans coup entre nos mains,
J’oyrai des coups en l’aer, on verra des bluettes
De feux que pousseront les Démons inhumains.
Puis il viendra tantost un courrier à la porte
En courtisan, mais lors il n’y entrera pas ;
En fin me tourmentant, suivant en toute sorte,
Mes os s’asecheront jusques à mon trefpas.
Et lors que mes rigeurs auront finy ma vie
Et que pour se mourir finira mon souffrir,