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gnée d’un raidissement, d’une rigidité musculaire quasi invincible et ne permettant que des mouvements brusques et désordonnés. La Biscotte, abandonné à lui-même, près de son lit, devient plus muet qu’un poteau et plus raide, planté sur ses pattes et regardant tourbillonner l’ombre, comme une brute, incapable du moindre mouvement volontaire, incapable de se déshabiller et de se coucher sans l’aide de Lidoire. Une fois que celui-ci l’a mis au lit, il devient plein de reconnaissance ; ses facultés affectives sont touchées, mais sa gratitude se mêle de tristesse et de remords. La Biscotte est un simple, un inférieur au point de vue moral et intellectuel, et il n’a pas le vin gai : « Merci bien, Lidouère…, te r’mercie beaucoup… merci bien… T’sais, mon’ieux, s’me le rappelerai, qu’est-ce que tu as fait pour moi…, s’me le rappelerai toute ma vie… q’t’es venu me sercher à la porte… ’ q’tu m’as ertiré mon sako, mon falzar et mes tartines… q’tu m’as fourré au pieu, kif-kif, eun’maman… Pour sûr que s’me l’rappelerai », Sa voix se mouille : « Quien, Lidouère, veux-tu que j’te dise ?… Eh ben ! t’es un bon cochon !… voilà qu’est-ce que tu es…, t’es un bon cochon…, oui, t’es un bon salaud !… Z’ai qu’toi d’ami à l’escadron, mon’ieux dégoûtant »… Il pleure maintenant : « T’as eun’pauv’gueule… S’peux pas la r’garder sans avoir évie d’pleurer, tel’ment qu’a m’rappelle l’patelin »… Il sanglotait… Obligé de se relever, mais incapable de le faire, Lidoire revient à son secours. Il ne sait plus rien ; l’univers entier se limite à son éternel « s’suis-t’y soûl ! » Sur ses jambes, où coule de l’ouate, son buste oscille, cassé, ballotté, de tribord à bâbord. Revenu à son lit, sans savoir comment, il se remet à pleurnicher. Ému jusqu’à l’âme, convaincu de son infamie, il entonne le chapitre des remords et le prolonge à l’infini, ravalant ses sanglots, se traitant de « sale cochon », disant qu’il souhaitait d’être mort et qu’il déshonorait l’armée. « Il voulait aller au magasin rendre à l’officier d’habillement son galon de premier soldat et sa trompette dont il