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Le mécanicien Panais[1], chargé de la conduite d’un express

…était un grand garçon à l’humeur assagie
De bonne heure, vivant d’un verre d’eau rougie
Et d’un croûton de pain rassis barbouillé d’ail ;
Qui jamais n’eut emménagé sans faire un bail,
Et dont les gens disaient : « C’est une demoiselle ».
Contents de lui, ses chefs l’estimaient pour son zèle,
Prisaient fort son intelligence et trouvaient bon
Qu’il économisât sur ses frais de charbon.

Lesseps, un an, l’avait employé pour son isthme…

Déjà nous voyons qu’il ne s’agit pas d’un alcoolique, mais d’un garçon sobre, régulier, intelligent, zélé et économe. Mais l’étiologie devient plus claire :

Par malheur il était atteint de Daltonisme,
En sorte que l’erreur de ses sens abusés
Lui montrait à rebours les tons interposés :
Il voyait le vert rouge et le rouge émeraude.
Fatalité ! Souvent, à l’heure où le soir rôde,
Vieux voleur sur le toit embrumé des maisons,
Met un voile de rêve aux lointains horizons,
Où la nuit lentement jette ses tentacules,
Où sur la profondeur des fins de crépuscule
Les signaux allumés en feux rouges, verts et blancs
Épouvantablement ouvrent leurs yeux troublants,
Oscar Panais sentait sa poitrine oppressée ;
Le front bas sous le poids trop lourd de sa pensée
Il blêmissait, songeant qu’il tenait en ses mains
Les clés de tant de sorts et tant de fils humains !
Cela devait finir de façon effroyable.—

On s’y attend bien d’ailleurs. Le daltonisme, chez un conducteur de chemin de fer, n’est chose gaie ni pour lui-même, ni pour les pauvres voyageurs. Il souffre, il est angoissé, sa poitrine est

  1. G. Courteline : Le coup de marteau (Ombres Parisiennes).