Page:Ahern - Les maladies mentales dans l'œuvre de Courteline, 1920.djvu/49

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seul que l’ensemble de tous les autres, attestait l’écroulement final de cette intelligence sombrée, l’écriture du pauvre garçon allait s’altérant de jour en jour… Au cours d’une expédition souvent écourtée de moitié, il arrivait que des phrases entières se faisaient remarquer par leur absence ; d’autres, privées de leurs incidentes (restées en route, celles-ci, évaporées en la mémoire du copieur au même instant qu’absorbées), semblaient de distraites personnes venues au bal sans faux-cols… Certaines phrases étaient vêtues en chienlits et parlaient de trente-six choses à la fois : du legs un tel et de la mort de Sénèque ; de la loi sur les successions et de l’énergie d’Arria qui se plongea un couteau dans le sein en criant : « Poete, non dolet ». Des idées de persécution se mêlaient à ses idées de grandeur, à ses idées délirantes. Seul dans son bureau, il tenait des discours incompréhensibles : « Je me rendrai à la chambre des Députés, portant le fer sous le feuillage, comme Armodius et Aristogiton. Je monterai à la tribune, et là, en présence d’un peuple innombrable venu des quatre coins du globe pour m’acclamer, je dirai… je dirai des choses formidables… qui étonneront les plus sceptiques… et glaceront le cœur des plus braves d’une indicible épouvante… Que d’hommes ! — je dis : en cette maison que d’hommes justement accusés de servilité et de bassesse, seraient ici soupçonnés du contraire !!! Si ce contraire n’était encore un moyen détourné, qui les signale… à la réprobation générale… Salut aux gens de bien ! Salut aux âmes irréprochables ! Salut aux cœurs purs dignes de ce nom ! salut aux consciences d’élite ! Aux honnêtes gens de tous les temps passés, présents et à venir, j’entre et je dis : Je vous salue, Messieurs !!! Mais, honte à ceux-là, misérable et vil troupeau de brutes, que guide la seule flétrissure de leur néfaste réciprocité, à travers une vie inutile, semée en apparence des plus nobles attributs de la vertu, en réalité du fumier de la duplicité, de la déloyauté et de la perfidie… Une enquête », criait-il, « une enquête ! La révélation