et rentrant chez lui satisfait après sa promenade, qu’il eût tué ou non quelque gibier gros ou petit.
Il visitait chaque recoin de sa propriété. Il connaissait le goût de chaque espèce de bête pour telle touffe de genêt ou de bruyère, pour tel ravin humide ou tel coteau desséché.
Il savait un certain chêne, dans le fond d’une baïsse, au pied duquel il avait tué, chaque année, depuis trente ans, une, deux, trois, cinq bécasses. Victorin était aussi acoquiné à sa terre que l’un de ses chênes-lièges. Ses pieds remuaient pourtant et n’étaient pas des racines, mais son cœur et son esprit étaient attachés à ce sol. À l’en arracher, on l’eût fait crier et saigner.
— Comment peux-tu perdre de vue le toit de notre cabane ? disait-il à son frère.
Avare, ou écocome jusqu’à l’avarice, Victorin, l’aîné de Parlo-Soulet, n’employait aucun aide, jamais. Il se faisait tout. Il cousait, raccommodait, lavait ; il allumait son feu, cuisait sa soupe. Avec son blé, il faisait sa farine, et avec sa farine il pétrissait et faisait son pain, tous les samedis, dans un four primitif bâti de ses mains.
Il dépassait les soixante ans. Il avait six doigts à chaque main et s’en trouvait bien. On l’avait, à cause de cela, exempté du service militaire. N’allant jamais « à la ville », il n’avait jamais pris part à un vote. Quand on le lui reprochait :
— J’ai six doigts, répliquait-il, je suis exempt !
Depuis son tirage au sort, il n’avait plus mis le pied à Roquebrune. Son frère (dont il avait pris soin dès cette époque, après la mort de leurs parents, quand Parlo-Soulet avait cinq ans à peine) l’adorait. Victo-