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L’ILLUSTRE MAURIN

que tous les solitaires aiment à parler ainsi tout haut, soit qu’ils s’adressent à eux-mêmes, soit qu’ils animent les objets autour d’eux, en les interpellant et leur prêtant des réponses, — car l’homme n’est pas né, de par la nature, pour vivre seul.

L’autre raison qui avait fait prendre à Parlo-Soulet sa plaisante habitude, c’est l’instinct d’imitation. Ce qui semble d’abord ridicule, on l’adopte parfois cependant, lorsque l’exemple vous y engage. « Tu vois, ça n’est pas si extraordinaire, d’autres font bien ce que tu crains de faire. »

Tout petit, Parlo-Soulet avait vu son frère gesticuler, dire à son fusil :

— Tu partiras, cette fois, hé, testard ? Tu m’en joues, des tours… Nous nous fâcherons, Jòousé ! »

Victorin appelait son fusil Joseph, sa pipe Marietto, sa marmite Vidasso (grosse vie), sa bouteille L’Amiguo (l’amie), son lit Consolation, sa charrue Tiro-dré (tire-droit), sa bêche Pico-fouart (frappe-fort) et le reste à l’avenant.

Il disait à sa pipe :

— Marietto, tu te fais plus noire qu’une pète (un crottin de chèvre). Tu portes les culottes, Marietto ! jamais femme que toi ne les portera dans ma maison !

Il disait à sa marmite :

— Ô Vidasso, tu es encore pleine, qué ? c’est pour t’emplir que le monde trime ! Et plus je t’emplis, plus je te vide.

C’était la marmite des Danaïdes. Il disait à sa bouteille :

— L’Amiguo, tu as un beau chapeau ; ôte-le, que je te boive le sang de ton cœur !