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L’ILLUSTRE MAURIN

le quai et aux fenêtres, regardait venir ce gendarme de mer. Et lorsqu’il accosta la terre, voilà que son cheval, à peine hors de l’eau, se secoua, dressa la tête et surtout releva sa queue, et tout en un coup fit un si grand effort dernier pour se débarrasser de sa clarinette, qu’il finit par la chasser loin comme la poudre chasse la balle ! Et cela eut lieu par l’effet d’un si grand souffle venu de son intérieur que la clarinette lui sortit du corps en jouant d’elle-même, c’est-à-dire que ce qui, sans elle, eût été un vilain bruit, devint, grâce à elle, bruit agréable ; et, ainsi chantante en l’air comme la balle sifflote, elle retraversa en arrière tout le golfe, par la force du souffle chevalin, et s’en retourna droit à Saint-Tropez où, en arrivant sur le quai, elle retomba comme par miracle entre les mains de son maître, aux pieds du Bailli de Suffren !

« Et voilà ce que diront les gazettes imprimées. Mais les journalistes sont tous des menteurs !

Pastouré riait tout seul, puis brusquement il devint grave :

— Je crois vraiment, dit-il, que la bravade, aidée de la course espagnole, aidée de l’aïguarden de Saulnier, m’ont un peu empégué… Je me raconte, étant couché, des histoires à dormir debout ! Et ces histoires se sauront, parce que tout se sait, et dans cent ans on se contera, comme véritable, celle du cheval de gendarme qui traverse le golfe à la nage avec une clarinette au derrière… Ce qui, j’en conviens, n’a pas l’air plus étonnant que l’histoire du grand saint Tropez lui-même arrivant de Rome dans une chaloupe, avec un chien pour pilote, un coq pour amiral et sa propre tête à côté de lui…