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L’ILLUSTRE MAURIN

enfants qui, ayant appris quelques rudiments de science, méprisent aussitôt l’ouvrier dont ils sont nés, et se mettent à lire de méchants romans ou à rêver d’en écrire, car j’ai vu cela plusieurs fois… Mon Dieu, oui, mon cher Cabissol, si l’on n’y veille, l’école primaire va nous noyer sous un déluge d’écrivains sans lettres !… Tenez, pas plus tard qu’avant hier, on frappe à ma porte : « Entrez ! » Je vois un homme jeune, à figure poupine, triste et souriante à la fois, rasé de frais et sans autre trace de barbe qu’un ton de bleu faïence au menton et sous le nez.

« Proprement vêtu, comme un ouvrier endimanché, il portait sous son bras un gros panier ovale fermé d’un couvercle.

« — Que voulez-vous, mon ami ?

« — Monsieur Rinal, on m’a parlé de vous. Et pardon, excuse, si je viens vous demander un conseil.

« — Mon ami, je vous écoute.

« — J’ai écrit un livre, monsieur, que je voudrais faire imprimer et que voici. »

« Il me tendit un gros cahier que je parcourus. C’était enfantin et lamentable. Je compris alors la mélancolie et le sourire de l’auteur. Il avait cru faire un livre de sociologie ! Il avait une nouvelle conception de la société et aussi de l’univers ! Je refermai son cahier au plus vite.

« — Mon ami, lui dis-je, êtes-vous marié ?

« — Oui, monsieur.

« — Avez-vous un métier ?

« — Menuisier.

« — Dans quelle ville ?

« — À Caroubière, près de Draguignan.