Page:Aicard - L’Illustre Maurin, 1908.djvu/363

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
345
L’ILLUSTRE MAURIN

« — La morale ? quelle morale ?

« — Mettez-moi par écrit une petite morale !

« — Coumpreni pas !

« — Une morale, monsieur, que tout le monde pourra lire dans le journal !

« — Donnez-moi un peu d’explication, ma brave dame ! »

« Et voici l’explication que me donna la veuve :

« — Ah ! monsieur ! Figurez-vous que mon mari, le pauvre homme, en toute sa vie n’a jamais bu que de l’eau ! Je lui disais quelquefois : « Marius, un doigt de vin te remonterait ; un peu de vin te donnerait de l’estomac ; le vin fait la force ! » C’est comme si j’avais chanté Le patron Vincent qui a gagné la targue à un gavot (montagnard), qui n’a jamais vu la mer ! Toujours il me refusait : « Ma Touninetto, l’eau me suffit ; le bon Dieu a fait l’eau et n’a pas fait le vin Tu ne donnerais pas de vin à un enfant de naissance, pas vrai ? Alors, pourquoi veux-tu m’en donner ? » Et vous imaginez bien, monsieur, que s’il ne prenait pas de vin, ce n’était pas pour prendre de l’assinte, ni aucune aliqueur forte de point de manière, rien de tout ça ! Il savait bien que toutes ces boissons du diable vous empoisonnent le sang, vous rendent rageur et facile aux grandes colères ! Il était sobre ; alors, comment voulez-vous qu’il ne fût pas brave homme ? En dix-neuf ans et demi de mariage, il ne m’a jamais dit une parole plus haute que l’autre ; jamais il n’a seulement levé son petit doigt sur moi, pour me menacer un tant soit peu que rien ! Il me disait toujours au contraire : « J’aimerais mieux me couper la main que de te frapper, « pechère ! »