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L’ILLUSTRE MAURIN

d’autres encore devant lui se rouvriront à grand’peine sous son effort, pour se refermer d’eux-mêmes aussitôt. Là, on pourrait se croire au milieu de volontés intelligentes, hostiles, liguées ensemble. Cette forêt basse et claire a les élasticités de l’élément fluide, de la mer qui se divise sans cesse devant le nageur sans jamais cesser de l’étreindre d’une pression toujours égale.

Sans doute cette brousse est aux forêts d’Amérique ce qu’une mare est au vaste Océan, mais un noyé ne mesure pas la quantité des eaux qui le tuent. Entre l’Océan et la mare, immense est la différence ; pour l’homme qui s’y engloutit, c’est une identique sensation de mort.

Ces brousses profondes, inextricables, où le genêt épineux domine, si haut et si armé, si fort quand il est vieux, que bien souvent il se refuse à ployer, et qu’il faut le tourner et marcher sans cesse en zigzags, — Maurin les connaissait toutes. Il en avait étudié depuis longtemps les fonds, du haut des cimes environnantes. Il y entrait au besoin, sans crainte de s’égarer ; il protégeait alors ses jambes avec le pare-bois, sorte de tablier fendu, attaché à chaque jambe et fait d’une épaisse toile à voile. Puis il mettait ses fameux « manchons ». Les manchons, qui ne quittaient pas son carnier, étaient une de ses inventions. C’étaient des fourreaux pour chacun de ses deux bras. Ils étaient de forte basane. Il plongeait ses bras jusqu’à l’épaule dans ces sortes de longs gants sans doigts.

Au milieu de la brousse, Maurin ne perdait jamais le sentiment de la topographie. L’inclinaison générale du terrain suffisait à lui donner l’indication nécessaire. Et souvent, Maurin s’engageait tout à coup dans ces fourrés