fait pleurer aussi. C’est par un tel pardon que se termine votre drame aujourd’hui classique, Le père Lebonnard, qui fut le triomphe du tragédien Novelli en Italie, le triomphe de Sylvain en Angleterre, et qui, après avoir été joué et rejoué sur toutes les scènes d’Europe et d’Amérique, nous est revenu à Paris au bout de vingt ans, avec une telle moisson de « rappels » et de larmes, — que nous avons cependant fini par le comprendre et l’acclamer aussi.
Et enfin, le trait qui vous unit le plus intimement, vous le poète qui nous arrivez, au poète qui vient de nous quitter, c’est que vous êtes deux profonds mystiques et deux mystiques chrétiens…
Un de vos biographes de talent a donné cette définition de votre nostalgique et si anxieuse religiosité : le dernier résidu de l’idéal chrétien au fond d’une âme. Je ne connais pas, en l’espèce, un mot plus sinistre que ce mot de résidu qui hélas ! est juste[1]. De tout ce qui a fait vivre, palpiter, lutter nos ancêtres, notre génération n’aura eu que cela en héritage : un résidu dont elle n’arrive même pas à secouer le charme indiciblement douloureux.
Nous ne savons et saurons jamais rien de rien : c’est le seul fait acquis. La vraie science n’a même plus cette prétention d’expliquer qu’elle avait hier. Chaque fois qu’un pauvre cerveau d’avant-garde découvre le pourquoi de quelque chose, c’est comme s’il réussissait à forcer une nouvelle porte de fer, mais pour n’ouvrir qu’un couloir plus effarant, plus sombre, qui aboutit à une autre porte plus scellée et plus terrible. À mesure que nous avançons, le mystère, la nuit s’épaississent, et l’horreur augmente… C’est alors que le « résidu » chrétien essaie encore de protester doucement au fond de nos âmes. Nous
- ↑ Je n’ai pas voulu donner à ce mot » résidu » un sens sinistre. Il représente, à mon avis, l’affirmation essentielle qui appelle toutes les autres.