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INSTRODUCTION

voyons bien que ce n’est pas cela, qu’il n’est pas possible que ce soit cela ; mais, derrière l’ineffable symbole, — infiniment loin derrière, si l’on veut, là-bas, aux confins de l’incompréhensible, — nous nous disons qu’il y a peut-être la vérité, avec l’espérance. Et puis, nous sentant nous-mêmes accessibles à la pitié, ne valant d’ailleurs que par la pitié, nous nous raccrochons à l’idée qu’il existe quelque part une Pitié suprême, vers qui jeter, à l’heure des grands adieux, le cri de grâce qui autrefois s’appelait la prière ; une Pitié capable de nous accorder même ce revoir, sans lequel la vie consciente, avec l’amour au sens infini de ce mot, ne serait qu’une cruauté par trop lâche ou trop imbécile… Quand nous en arrivons là. Monsieur, nous ne sommes pas trop loin d’être des chrétiens, sinon à la façon de Coppée, bien entendu, du moins à la vôtre…

Mais pardon ! Tout ce que je viens de dire a été déjà tellement dit et redit, que je m’excuse de retomber dans ce lieu commun de la détresse…

Votre livre intitulé Jésus (celui peut-être où vous vous faites le plus merveilleusement simple et le plus humblement humain) nous montre deux pauvres disciples du Christ, pêcheurs du lac de Tibériade, qui, le troisième jour, après la mort de leur maître, s’en reviennent mornes et accablés vers Emmaüs, à la nuit tombante. Une ombre tout à coup surgit à leurs côtés, s’éloigne, revient… Si elle s’approche, ils se reprennent à avoir courage, tandis qu’ils tremblent et défaillent dès qu’elle disparaît. Alors, ce fantôme de Jésus, si incertain pourtant, et qu’ils distinguent à peine, ils le supplient de cheminer près d’eux jusqu’à l’étape du soir, parce que sans lui ils ont froid jusqu’au fond du cœur, dans la nuit plus sombre.

Et vous terminez cette pièce allégorique du naïf passé par la prière que voici, qui tout à coup est de notre temps, et que des milliers d’âmes rediraient avec vous :