— Je l’ai vu, dit le préfet, et j’en suis charme.
— Bon, dit Maurin. Et quand nous déjeunerions dans les bois entre moi, douze ministres, six empereurs et un préfet, là encore je ne craindrais personne ! mais dès que vous me mettez assis à une table qui a une nappe, au milieu d’un salon bien éclairé, avec des domestiques derrière moi, je deviens coïon comme la lune… Tenez, j’aurais trop peur de renverser les salières… ça porte malheur.
— Seriez-vous superstitieux, Maurin ? Comment entendez-vous que cela porte malheur ? dit le préfet curieux.
— Ça porte toujours malheur de casser ou de renverser quelque chose, dit Maurin. Si peu que vaille la chose, c’est toujours plus que rien et ça porte donc toujours malheur à la bourse. Pour vous en revenir, je renverserai les salières ou la bouteille, et alors, ou bien je dînerai mal parce que je serai gêné, ou bien je mangerai comme quatre et vous penserez que j’ai tort de ne pas me gêner un peu… Pastouré m’attend. Dînez entre vous.
— Qui ça, Pastouré ?
— Mon camarade, celui qui chasse en gesticulant tout seul. On vous l’a bien montré, aujourd’hui ?
— Ah ! oui ! Eh bien ! amenez-le.
— Bien entendu que je ne le laisserai pas « pour graine » à la porte de l’hôtel ; mais, monsieur le préfet, il y a autre chose…
— Et quoi, Maurin ?
Maurin regarda le préfet en face.
— Pourquoi m’invitez-vous à dîner
— Parce que je vous connais de réputation et que vous me plaisez.