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MAURIN DES MAURES

croyez vraiment qu’il y a un autre progrès que le progrès industriel, matériel ? non ! L’homme s’installe de jour en jour plus confortablement sur ce globe, mais il est resté la méchante bête qu’il fut et sera toujours.

— Mon cher Cabissol, dit M. Rinal, voici à quoi je pensais, pendant que Maurin nous contait hier sa jolie histoire de La lièvre de juin… Quelques années avant la Révolution française, une troupe de jeunes gens, tous apparentés, de près ou de loin, à MM. les membres du Parlement d’Aix, revenaient, un soir, d’une partie de campagne. Ils avaient avec eux d’aimables femmes. Ils étaient gais, excités par les propos libres et les bons vins qu’ils avaient bus dans la journée. Ayant rencontré, près de la ville, un paysan qui s’en retournait chez lui monté sur son âne, ils le plaisantèrent à qui mieux mieux et, de fil en aiguille (le paysan répondant à la galégeade par la galégeade), ils lui proposèrent de jouer avec eux… au Parlement. S’il consentait à tenir le rôle de l’accusé dans la comédie qu’ils allaient improviser, il aurait pour sa récompense un bel écu d’argent. Le paysan, bonhomme, y consentit. On prit goût au jeu, on s’échauffa, et ayant jugé le manant pour rire… on le pendit pour de bon !

« Ce crime ne fut pas puni. Un procès en règle aurait compromis des noms de juges trop illustres !

« Voilà à quelle conception de l’inégalité des hommes en étaient arrivés quelques-uns au moins des puissants du jour, ceux que la Révolution allait abattre. Ces illustres, ces bien-nés pouvaient tout faire, tout se permettre contre le droit des humbles.

« Tout une caste, ou du moins (et cela suffit) les plus orgueilleux d’une caste orgueilleuse, se croyaient telle-