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MAURIN DES MAURES

— Permettez ; c’est précisément ce que je ne voudrais pas laisser croire à un homme distingué comme celui que je devine en vous, rien qu’à vous voir.

M. Désiré s’assit familièrement sur le coin de la table de M. le préfet, lequel, sceptique et curieux, se mit à l’écouter avec le plus vif intérêt.

— Monsieur, dit M. Désiré, ce qui m’intéresse, c’est l’animal nommé Homme. L’homme est bête et méchant ; mais il est rusé et j’aime à suivre tous les détours de ses ruses, jusqu’à ce que je découvre au gîte le vilain motif de ses actes. Ces sortes de recherches me seraient un médiocre régal (car elles me font repasser souvent par les mêmes chemins), s’il n’y avait pas des originaux — c’est-à-dire de braves gens. Mais il y en a. Maurin en est.

« Ah ! monsieur ! quel malheur de n’être pas capable d’écrire le roman d’un tel personnage !

— Et qui vous en empêche ? dit le préfet.

— Je suis si paresseux à la fois et si actif ! soupira M. Désiré.

Le regard du préfet demanda une explication.

— Écrire un roman ! cinq ou six cents pages ! soulever une plume ! la plonger de minute en minute dans l’écritoire ! Écrire en un jour ce qui se parle en une heure ! ma paresse s’y oppose, comme aussi une activité toute physique qui me porte ailleurs. Au lieu d’écrire et même de lire des romans, j’en observe de vivants, j’en vis moi-même et plusieurs à la fois. J’en suis le déroulement à travers des années, je passe de l’un à l’autre en me jouant. Je prends le train de Nice pour voir où en est celui que j’intitule : Madame Z — ou le train de Draguignan pour assister au dénouement d’un autre que j’appelle : Monsieur Y.